La taverne était remplie d’un air épais qui transpirait l'odeur de l'âge et de l'alcool, un effluve de bière puissante mêlée de bourbon. Dans sa tiède pénombre, le monde s'était rétréci à une symphonie de verres qui tintaient. Les conversations, ressemblaient à une fine brume laissant à peine filtrer le ciel rougi du soir, un dernier appel des sirènes perdues et solitaires cherchant une âme à la dérive prête à perdre son destin au sien dans les profondeurs sans fond d’une amertume alcoolisée.
Le monde extérieur changeait, mais ici, le temps s'était replié sur lui-même, une boucle perpétuelle d’hiers et de demains qui s’enchaînaient les uns les autres jusqu'à ce que l’on ne puisse plus les distinguer. L'air de la taverne formait une tapisserie tissée à partir du rythme monotone de la vie. C'était un endroit où l'extraordinaire était étranger.
Bud, le patron, était le fervent chef d’orchestre de cette routine, son dos à moitié voûté, ses mains signaient un testament qui témoignait des années passées à verser des boissons et à écouter les secrets du monde.
Zak, son confident de toujours, était assis dans une calme solidarité, son front creusé de sillons croisait de temps à autres le regard de Bud lançant un témoignage silencieux aux années d'amitié qui les liaient. Quelques fois, leur conversation, un échange de souvenirs partagés et de peurs non exprimées, flottait au-dessus de la taverne comme un ballon fragile.
Amand, tel un spectre qui s'accroche à la vie par les bords effilés d’une résolution mourante, était assis au bar, les yeux comme des fenêtres opaques aux travers desquelles il tentait de percevoir son âme à la dérive.
Perché sur son tabouret habituel, ses cheveux formaient une crinière sauvage et ombreuse qui semblait absorber la faible lumière de l’après-midi. Ses yeux, marqués par les profondeurs de l'angoisse, jouaient avec quelques braises qui n’avaient plus que la force de l'éclat d'une bougie dont la lumière jouait une mélodie hantée.
Son visage exprimait un contraste qui oscillait entre la rugosité des années vécues et la vulnérabilité d'une âme à la dérive se nourrissant de rêves alcoolisés. Le liquide ambre tournoyait dans son verre, un maelstrom miniature reflétant la tempête qui faisait rage en lui.
C'était un homme au bord de la rue, un cœur qui battait au bord de l'abîme de son propre désespoir formant des échos qui bourdonnaient avec le rythme mondain des autres clients. Leurs vies entrelacées avec les bières et les paquets de cartes dessinaient un mensonge réconfortant dont il avait désespérément besoin pour ne pas sombrer.
Bud, le patron, était un observateur silencieux de cette danse entre les bouteilles et les jours dans laquelle il était pris. Il connaissait toujours par cœur et à l’avance ce qu’il allait commander: un double bourbon, soigné. Il le servait sans un mot, un clin d'œil sympathique remplaçant la conversation pour laquelle Amand n'avait plus la force.
Pour lui, cette maison était devenu le havre qu’il cherchait. Un endroit tranquille où il pouvait noyer son âme tout entière. Là, nul besoin de parler, il pouvait juste boire et regarder les autres mélanger leur lassitude à la sienne. Les autres clients étaient devenus pour lui comme une famille de fortune, une bande de compagnons liés par la misère partagée de leurs vies isolées accrochées au comptoir, un radeau perdu sur une mer d’alcool.
Alors que l’après-midi touchait à sa fin et que le soir s’installait, la lumière sombre de la taverne jetais de longues ombres à travers la pièce. Filtrants au travers des fenêtres, quelques rayons mourants accrochés à de petits nuages de poussière dans l'air semblaient se moquer de son propre chaos intérieur.
Pourtant, dans ce tableau de tranquillité, une note discordante s’était accrochée dans l'air, quelque chose qu’il ne percevait pas bien perturbait sa routine éthérée. Une présence indéfinissable avait fait son apparition, un changement palpable dans l'atmosphère, une tempête silencieuse brassant à l'horizon venait de le perturber et pour un moment, son monde semblait vaciller.
Un instant, un éclair de lucidité avait tracé un chemin dans son esprit embrumé. Il égrainait ses vies passées. Il avait été un père de famille, un croyant, un pasteur même dans une vie passée. Il tentait de faire la liste des rôles, de ses identités perdues et enterrées. Ce qu’il cherchait, s’était une définition qui les résumeraient toutes.
Une certaine perplexité mêlée de culpabilité venait de l’envahir à l’idée même de résoudre cette question qui le pressait quand soudain elle lui apparut. “Un homme de foi!” voilà la meilleure définition qu’il aurait pu donner à cette identité perdue.
Comme il venait de finir son verre il croisa le regard de Bud dont la présence rassurante avait toujours été pour lui aussi constante que le comptoir lui-même. Ses yeux exprimaient un désespoir lucide face à la vérité qu’il sentait poindre à l’horizon de son âme.
Alors que Bud lui reversait de quoi tenir le choc, cette vérité qu’il avait enfouie de puis longtemps venait de le heurter de plein fouet et comme un marin seul en pleine tempête il s’accrochait maintenant au comptoir comme on s’accroche à une barre.
— “Hey Amand, ça va mon gars?”
Amand se ressaisit un instant alors que Zak le dévisageait avec inquiétude.
— “T’inquiètes, ça va aller.”
Toutes ces années à chercher le salut venaient de lui revenir, il ne pouvait cesser de penser à cette foi perdue qui pourtant l’avait menée vers les abîmes dont elle était sensée le sauver. Elle l’avait trompé. Et, telle une sirène l’avait emmené captif vers les fonds sans fin de la noirceur de l’âme.
Maintenant, elle revenait le hanter, armée de son poignard tranchant et acéré pour lui briser à nouveau et l’âme et l’esprit. C’est avec elle qu’il avait pu ouvrir les portes les plus brillantes de sa vie tout comme les plus cachées de son esprit, autant de portes vers de brillantes ou sombre réalités.
En un instant il comprit que certaines portes, même si il est tentant de les franchir ne peuvent plus être refermées. Il l’avait franchie, il y a longtemps et par cette porte grande ouverte, cette vérité venait le lui rappeler. L'air de la taverne s’était épaissi, et l'odeur du bois vieilli mêlée de bière renversée lui semblait maintenant étranger. Les murs mêmes semblaient transpirer un avant-goût qui s'accrochait à sa peau comme les relents de son eau de Cologne bon marché.
La taverne, son sanctuaire, ce lieux où tout était si ordinaire se tenait maintenant au seuil de l'impossible. Les clients, leurs conversations, le tintement des verres et tout ce qui lui semblait si prévisible était devenu une façade fragile qui allait s'effondrer.
Son regard s’était fixé sur une figure énigmatique, une ombre qui émergea par la porte des toilettes. Un homme qui semblait tout droit sorti de l'un de ces mauvais romans d'espionnage.
Alors qu’il sortait des toilettes, Amand fut soudain saisi d’un effroi qui lui traversa l’échine, un fourmillement qui rampait le long de sa colonne vertébrale et chuchotait d'une réalité qui allait imploser, reformer et redéfinir tout ce qu'il pensait connaître.
Cette ombre, comme un présage surnaturel, se tenait là, une sentinelle silencieuse au bord du monde d'Amand, prête à lever le rideau pour lui révéler ce qu’il ne voulait surtout pas voir.
Tout à coup, les conversations et les bruits familiers semblèrent s’étouffer. Un peu comme cette sensation qu’il ressentait, enfant, lorsque qu’il plongeait dans le lac et que les rires de ses camarades disparaissaient sous la surface de l’eau.
Alors que les bruits de la taverne coulaient, le cliquetis de l'horloge sur le mur se mit à résonner dans sa tête provoquant un écho assourdissant. Il vacillait. Zak, les deux coudes croisés sur le zinc du comptoir, regardait Amand avec intensité; le visage marqué d’une attente mêlée de préoccupation.
Le regard tranchant de Bud, coupait le léger brouillard du déni qui enveloppait la pièce, tandis que la voix de Zak, un simple murmure, brisa le silence.
— "Hey, Amand, t’es sûr que ça va?"
Il ne répondit pas, son attention toute entière était plongée dans le petit rictus cynique qu’il pouvait discerner sous le chapeau de cette ombre. Comme si ce sourire énigmatique contenait une partie des réponses qu’il avait toujours cherchées. Comme si cet étranger lui lançait une invitation cryptique à aller au-delà du voile du connu, dans le royaume de l'ineffable.
Soudain, les yeux de l'étranger rencontrèrent ceux d'Amand avec la certitude électrique d'un homme qui savait des choses qu'il ne pouvait pas comprendre. La température de la pièce s’effondra, les lumières au plafond se tordirent dans un mouvement erratique jetant des ombres grotesques qui dansaient comme les marionnettes d’un marionnettiste invisible.
A cet instant, le monde de la taverne, avec son rythme prévisible et son chaos réconfortant, lui paraissait comme une illusion soigneusement conçue, prête à s'écrouler aux mains de cette figure mystérieuse.
La taverne, avec les grincements de son parquet et ses contes chuchotés, était devenue un carrefour où les chemins du banal et du surnaturel se croisaient. Amand était maintenant son centre, pris dans un jeu qui le dépassait, un pion au bord de la folie.
Ses doigts, secoués par des tremblements provoqués par quelque chose de plus que le whisky brûlant sa gorge, laissèrent tomber son verre. Le bruit fracassant causa un répit temporaire dans la tempête existentielle qui venait de le balayer. Le temps se figea un court instant.
Cet homme, l'étranger, avait fait son entrée dans le royaume d’Amand. Cette contrée faite de vapeurs enivrantes, de lumière tamisée et de bois usé. Ses yeux, vastes et énigmatiques, tenaient une profondeur qui semblait s'étirer dans l'infini. La présence de ce fantôme eut l’effet d’une ondulation à la surface d'un étang calme. Elle se mit à déformer la réalité dans laquelle Amand s’était confortablement installé depuis quelques années.
Il le fixait, sa curiosité piquée par l'étrangeté de cette présence. Pour lui, il était tel une énigme enveloppée dans une énigme, son visage obscurci par le bord d'un chapeau en feutre usé et le collier d'un manteau d'hiver lourd qui semblait hors de place.
Comme Amand restait prostré, figé debout à côté de son tabouret, un malaise s’était installé dans les yeux de Bud, Zak et les autres. Certains s’étaient levés, prêts à agir, à le rattraper quand il vacillerait. Pourtant, alors qu’il sombrait, un détail qu’il semblait être le seul à avoir remarqué lui traversa l’esprit.
Amand réalisa que cet étranger venait de faire son apparition en sortant hors des toilettes alors qu’il n’y était jamais entré. Il en était sûr. Non seulement, cet homme lui était parfaitement inconnu. Mais en plus, il ne l’avait pas vu entrer dans la taverne et encore moins dans les toilettes.
Soudain, Amand tourna la tête pour regarder autour de lui. Il constata avec stupeur que le temps s’était arrêté, tout le monde semblait figé. Il n’y avait que lui et l’étranger qui affichait toujours le même rictus énigmatique.
Tout à coup, l’étranger lui tourna le dos et s’engouffra à nouveau dans les toilettes d’où il était venu. Les autres clients reprirent vie.
— “Est-ce que... Tu viens de voir ça Bud?” La voix d’Amand, à peine plus qu'un murmure, lançait chaque mot accompagné d’un tremblement d'incrédulité.
Le visage de Bud prit un air incrédule, prudent, gardé, comme s'il voulait montrer qu’il savait qu’Amand venait de voir quelque chose qui va au-delà du domaine de l'explicable. Mais dans son regard, Amand comprit qu’il était le seul à être témoin de cette apparition.
La question d’Amand eu pour effet de faire retomber la tension sur le visage de Zak. Avec sa voix à moitié tremblante de bière, une choppe à la main, il se dirigea vers le jeu de fléchettes. Et comme pour alléger un peu l’atmosphère, regardant Amand avec un mélange de curiosité et d'ennui lança:
— “Qu’est-ce qui t’arrive ?”
—“Je crois... Je pense que j'ai vu un homme sortir… disparaître dans les toilettes… et sortir de nouveau sans jamais partir.. ou entrer…”, Amand dit ses mots alors qu’il s’écroulait dans la précipitation, un besoin désespéré de donner un sens à l'impossible, il flottait à travers eux.
Zak ronfla une combinaison de rire et d'incrédulité qui semblait faire écho dans toute la taverne.
— “La journée a encore été dure, Amand!” dit-il, secouant la tête. “Tu commences à avoir des visions maintenant?"
Amand le prit personnellement. Il savait ce qu’il avait vu! Cet étranger n'avait pas franchi la porte d’entrée de la taverne. Il ne pouvait pas être sorti par on ne sait quelle autre porte. Et quand il fit irruption par la porte des toilettes, la pièce semblait retenir son souffle, pendant un moment, le temps restait immobile.
Bud, cependant, n'avait pas l’air de rire. C'était un homme de peu de mots, mais ses yeux tenaient une lueur d'intrigue mêlée de crainte alors qu'il observait Amand.
— “Je pense que t’as ton compte pour aujourd’hui, Amand!” un soupçon de malaise flottait dans sa voix.
Les échos des derniers mots que Bud prononça n'eurent pas le temps de se dissiper que l'apparition reprit forme. L'étranger surgit à nouveaux des toilettes. Il se mit à avancer, fixant Amand avec une intensité sourde. Il semblait engagé dans un monologue.
De là où Amand se trouvait, la voix de l’étranger n’était presque qu’un murmure. Mais ses lèvres se mouvaient d’une façon qui lui rappelait un homme récitant une prière. Il les regardait bouger, son esprit tentant de saisir la réalité de ce qu’il observait.
L’alcool aidant, Amand essaya de s’élancer vers l’étranger. Il voulut le confronter, le toucher, comprendre ce qu'il était ou ce qu'il représentait. Mais ses jambes lui semblèrent lourdes, fixées au sol comme par une force invisible. Il était paralysé, comme si l'air qui l’entourait formait une barrière physique, une camisole dont il ne pouvait s’extraire.
Zak, sentant la tension, décida qu’il était de son devoir d'alléger l'humeur:
— “Les gars, venez voir! Amand vient de voir un fantôme!”
Le souffle de son rire résonnait dans la taverne. Les clients pinçaient leur rire, certains par sympathie, d'autres par gêne. Amand sentit une vague de colère et d'humiliation monter en lui, mais il était paralysé, piégé dans ce moment absurde.
Alors, il ferma les yeux comme pour se donner la force de se tenir debout, confronter l'étranger, mais quand il les ouvrit à nouveau, il était parti. Sa présence venait de créer un vide soudain. La taverne était revenue à son état habituel.
Durant la soirée, Bud, Zak et les autres rigolèrent un peu. Ils taquinèrent Amand. Un des habitué raconta une histoire de fantômes. L’incident passa aux yeux de tous comme une simple hallucination.
Amand, lui, était convaincu de la réalité de ce dont il venait d’être témoin. En cet instant, une force qu’il ne pouvait pas expliquer, un besoin irrépressible de trouver des réponses l’envahit. Cet étranger venait d’ouvrir une porte dans laquelle il était bien obligé de s’engouffrer tout entier.
Cette nuit là, alors que Bud pressait Amand de rentrer chez lui. Quand la porte de la taverne se referma, scellant l'énigme de l’étranger jusqu'à ce qu’il revienne avec des réponses ou d'autres questions, l'air froid contre sa peau vint le frapper avec une force qu’il n’avait plus sentie depuis longtemps.
Le monde à l'extérieur était flou de mouvements et de bruits nocturnes, et son esprit pris dans une boucle infinie, visualisait encore et encore le visage de l'étranger. Amand ne le savait pas encore, mais cet étranger allait lui revenir d’une façon aussi surprenante qu’inattendue.
Amand s’engouffra dans la nuit, titubant, tentant de retrouver son chemin. C’est alors qu’au détour d’une ruelle il l’aperçut. La même démarche lourde, le même long manteau et ce chapeau fiché légèrement de travers.
L’étranger sembla s’arrêter un instant, se retourna tandis que ses yeux scintillants dans l’obscurité le fixaient comme pour lui lancer un défis. Puis, il reprit sa marche, le pas confiant malgré l’humidité froide et luisante qui s’accrochait aux pavés.
Amand se mit à le suivre à distance. Malgré l’ivresse, chacun de ses sens se mettait en alerte. L’étranger pressait le pas et Amand, titubant mobilisait toutes ses forces pour le suivre, guettant le moindre mouvement, le moindre changement. Dans cette poursuite, entraîné dans ce labyrinthe de rues et ruelles plongées dans la nuit, le sentiment d’être au bord d’un précipice, de quelque chose de monumental l’envahissait de plus en plus.
Cette course-poursuite s’interrompit brusquement devant les portes d’un ancien entrepôt abandonné en bordure de la ville. Un endroit déserté depuis de nombreuses années dont la façade usée était éclairée par une lumière fatiguée.
Face aux portes, l’étranger se retourna et Amand, à bonne distance, distingua une sorte de sourire pincé sous l’ombre large de son chapeau. Soudain, la voix de l’étranger se mit à résonner comme dans un espace vide.
— "Tu as parcouru un long chemin pour trouver la vérité, Amand. Es-tu prêt à voir ce que les autres ne peuvent pas?”
Au fond de son esprit étouffé, Amand se mit à alors a hurler sa résolution. Oui, il voulait percer le mystère! Oui, il voulait trouver sa vérité! Au moment même où cet étranger avait fait son apparition dans sa vie il l’avait senti.
Il avait senti ce que les autres ne pouvaient pas percevoir. Il savait qu’il n'était plus seulement un homme qui cherchait des réponses. Il cherchait la vérité, et cet étranger tenait la clé pour débloquer le mystère qui le hantait. Il en avait la certitude.
Lui tournant à nouveau le dos, l’étranger le défia a entrer dans l'entrepôt quand il s’engouffra tout entier dans le bâtiment délabré. Amand s’y précipita.
A l’intérieur, l'air se refroidit subitement, et les ombres se creusèrent un peu plus, une lueur étrange se dissipait dans l'espace obscur. L'étranger se tenait debout, au centre de l’espace désert jonché de détritus et de bouts de ferrailles. Un cercle lumineux s’était dessiné sur le sol autour de lui.
— “Beth-Sarim”, murmura-t-il, son regard fermé sur celui d’Amand. “La ville où les princes sont en sécurité”.
Alors que l’étranger se tenait là, au centre du cercle, le cœur d’Amand se mit à tambouriner dans sa poitrine. Tout à coup, le temps sembla se déformer autour de lui, et il se trouvait debout non pas dans l'entrepôt, mais dans ce qui semblait être un temple ancien.
L'air était épais, emplis d'odeur d'encens et de vieille pierre, un contraste frappant avec la taverne, la ville, l’entrepôt et le monde extérieur. Il était debout dans ce qui ne pourrait être décrit que comme un portail entre les mondes, un pont qui relie le banal à l'extraordinaire.
— “Beth-Sarim”, reprit l'étranger, sa voix résonnant maintenant dans les limites de cet ancien lieu. “Là, au centre de ton cercle, tu trouveras les réponses aux questions que tu n'as jamais osé te poser”.
Amand regardait autour de lui, les yeux larges d’émerveillement et de peur. Les murs ornés de hiéroglyphes semblaient vivants, leurs symboles irradiaient une lumière éthérée. L'air vibrait avec une puissance à la fois enivrante et intimidante.
— “C'est réel ?” Sa voix n’avait à peine plus de force qu'un murmure, comme si l'acte de parler briserait l'équilibre délicat de cet endroit.
L'étranger se mit alors a l’exhorter dans une langue dont Amand ne comprenait pas les mots. Les yeux de l’étranger exhalaient une profondeur sombre. Sa voix transportait une énergie qui semblait avoir traversé les siècles, sinon les millénaires lointains. Au bout d’un moment, il s’arrêta de parler. Puis, brisant à nouveau le silence il reprit:
— “C'est ton destin de le comprendre, Amand!”
Amand ressentit une poussée d'énergie le traverser, une sensation qui était à la fois fluidifiante et exaltante. Il n'était plus un homme perdu, mais un voyageur au-delà des frontières de la réalité et de l'imagination.
Soudain, le noir l’envahit. L’étranger, le cercle et le temple disparurent. Amand se retrouva seul dans cet entrepôt désaffecté. Le doute et la peur l’envahirent aussitôt. Tombant à genou, il appela, cria, supplia l’étranger de revenir. Rien n’y fit. Le silence, lourd et pesant se mit à l’écraser.
Pourtant, malgré ces peurs et ses doutes, alors que l'air froid de la nuit tournait autour de lui, les paroles de l’étranger faisaient encore écho dans son esprit.
La réalité et le fantasme avaient fusionné, l'impossible était devenu possible. Une réalité tangible et tactile venait de se matérialiser dans son esprit. Rien que cette idée l’apaisa un peu.